mardi 7 avril 2020

Éducation : la misère des riches


À l’aube du congé forcé, un directeur d’école a lancé le signal de départ de la course Mon école est meilleure que la tienne. Avec son retentissant « Pour nous, c’est business as usual », il a résumé notre conception néolibérale de l’école et par ricochet, celle de notre vie.

Dans ce monde d’apparence créé par la gestion comptable, nous devons faire la preuve d’une productivité visible.

Pour tout vous dire, il commence à être lassant ce discours idéalisant la pseudo-pédagogie à distance simplement dans le but de se donner bonne conscience. Simplement pour être fier de pouvoir se bomber le torse et affirmer la tête haute que « nous autres, on s’occupe de nos élèves ».

Urgence

« Le réseau de la santé et les services de sécurité publique sont les mieux préparés pour faire face à des situations d’urgence. C’est dans la nature de leur mandat d’assurer santé et sécurité en toutes circonstances. » – Michel Dex

Ce qui n’est définitivement pas le cas de l’école.

La notion d’urgence y est fort différente. Il s’agit plutôt d’un lieu où l’on prend son temps afin de consolider les apprentissages. Où l’on explique patiemment pendant 10 mois le savoir-faire et le savoir-être dans l’espoir de faire avancer chacun des élèves qui nous sont confiés.

Comment l’école pourrait-elle répondre instantanément à la situation actuelle ?

Je ne comprends pas notre définition de ce qu’est l’urgence.

Un peu de maths

Selon les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO, « environ 263 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes dans le monde (un sur cinq) ne sont pas scolarisés. »
Selon l’UNICEF, « environ 152 millions d'enfants dans le monde sont privés de leur enfance parce qu'ils sont impliqués dans le travail. Pire encore : 115 millions d’entre eux exercent des activités dangereuses. »
Pendant que nous buvons de la super eau avec plomb dans l’indifférence générale, sachez aussi que « l’accès insuffisant à une eau potable de qualité et le manque de services d’assainissement des eaux usées coûtent cher en vie humaine, avec 780 000 décès causés par la dysenterie et le choléra chaque année… » - Le Devoir
Un peu plus près de nous, les programmes du Club des petits déjeuners permettent de servir plus de 243 521 repas nutritifs chaque jour dans 1 809 écoles partout au Canada.
Au Québec, en 2018-2019, la DPJ a traité 105 644 signalements. Une hausse de 10 % par rapport à l’année précédente. De ce nombre, 41 530 signalements ont été retenus, soit une moyenne de 114 par jour.
Désespoir collectif actuel
Pour les anxieux pédagogiques, sachez que les enfants et les adolescents vont « perdre » approximativement 60 jours d’école ou 300 heures de classe. Ce qui représente environ 3 % de la vie scolaire d’un jeune pendant son parcours primaire-secondaire.

Paradoxalement, un élève qui s’absente l’équivalent de 6 jours par année pendant ce même parcours aura manqué 66 jours d’école… pour de bonnes et de moins bonnes raisons : maladie, voyage familial, voyage étudiant, activités éducatives, événements sportifs, emploi, session d’examens, suspension, etc.

Bizarrement, l’évolution des problèmes de santé mentale chez les jeunes ne semble pas créer de commotion : troubles anxieux (hausse vertigineuse), trouble du déficit d’attention (grande augmentation), dépression, troubles alimentaires chez les filles.

À cela, ajoutons notre apathie envers les ravages de l’utilisation abusive des écrans récréatifs…

À ce propos, une enquête du CEFRIO révélait que « les experts recommandent un temps d'écran maximum de deux heures par jour ou de 14 heures par semaine pour les jeunes de 5 à 18 ans. Or, nos données indiquent que 26 % des jeunes de 13 à 17 ans, soit un jeune sur quatre, dépassent cette durée recommandée. Chez les plus jeunes de 6 à 12 ans, ils seraient 9 % à dépasser ce seuil. » (en passant, plusieurs experts en neurosciences recommandent seulement de 5 à 7 heures d’écrans récréatifs par semaine pour les individus de plus de 6 ans.)

Deux heures par jour, ça fait 730 heures par année et 8030 heures après 11 ans. Bref, le finissant « raisonnable » aura passé l’équivalent de 8,92 années scolaires devant un écran récréatif lors de la remise de son diplôme d’études secondaires.

Bof !

En ce moment de tourbillon extrême, inutile de chercher l’équilibre ou de faire preuve de nuance quant à l’éducation de nos enfants.

Si la SAQ a mis près de deux semaines à répondre à ma commande en ligne de 12 bouteilles de vin, est-il possible de croire que le système d’éducation livrera la marchandise en trois semaines ?

Je veux tout, tout de suite et ici chantait Ariane Moffatt en 2008.

En 2020, sois patient. Tu auras certaines choses quand viendra le temps.

Santé !

3 commentaires:

  1. Cet article alimente de façon intéressante ma réflexion sur l'actuelle gestion de la crise en éducation.

    J'ai enseigné au privé les quatre dernières années et ai fait un retour au public cette année, ce qui teinte mon regard sur la situation.

    Sur Facebook, depuis le début du confinement, j'ai été témoin de ce que vous décrivez : le « buisness as usual » clamé par le privé, la réponse un peu stressée du public face à ce constat ; des profs qui prennent des initiatives personnelles pour envoyer du contenu aux élèves avant même qu'un plan soit mis de l'avant... On sentait vraiment l'urgence dont parle cet article...Il me semble que c'est une erreur.

    J'ai beaucoup aimé cet article. Merci.

    Camille, jeune enseignante de 5e année.

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  2. Merci de votre commentaire. Santé à vous et à vos proches.

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  3. Vous êtes plein de gros bon sens. Merci!

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