vendredi 29 mai 2020

En classe à temps plein en direct de Taïwan

Au moment même où Québec écartait l’enseignement à distance à temps plein pour nos élèves lors de la prochaine rentrée, je communiquais avec l’un de mes ex-élèves afin de percer le mystère du modèle taïwanais :

-        Salut Gabriel ! Si ma mémoire est bonne, ton père habite Taïwan ? Possible de me mettre en contact avec lui ?

-        Bonjour Sylvain, je te mets en contact avec mon père Philip, fier résidant de Taïwan depuis, quoi, 7 ans maintenant ? Si tu as des questions sur la gestion scolaire en temps de pandémie, je pense que c’est une bonne source !

-      Excellent. D’ailleurs, je viens tout juste de lire un article à propos de l’éclatant succès de Taïwan (Lien).

-      On n’aura quasiment jamais autant parlé de Taïwan, du moins, pas pour de bonnes raisons de même !

Et c’est ainsi que Philip Brook, père d’un jeune adulte à Québec et d’un enfant de près de six ans à Taïwan, s’est présenté à moi :

-        Je suis théiculteur. Je pense que c’est un néologisme, mais ça sonne bien ! Si vous préférez producteur et affineur de thé, ça me convient tout autant. 

-        Bonjour Philip, comme je le soulignais dans mon dernier texte (Pro domo, pour mon école), je souhaite vivement une rentrée « normale ». Je voulais avoir un petit topo de ce qui se passe chez vous. Possible ? 

-     Je pense qu'il faut, à priori, comprendre les motivations derrière l'ensemble des mesures adoptées à Taïwan face à la présente pandémie.

Je t’invite à lire ce texte du Guardian : lien. Il résume bien autant les motivations des autorités que le résultat obtenu, surtout en ce qui concerne les droits et libertés de sa population.

Étant une île - ce qui ne peut qu'aider dans ce genre de circonstances - la stratégie taïwanaise était de prévenir la contamination importée d'ailleurs afin de préserver la normalité de la vie sur son territoire.

Cette normalité se reflète sur l'ensemble des activités scolaires qui, à part le port du masque obligatoire (ce qui n'est pas une contrainte ici), le lavage des mains, et la prise de température à l'arrivée chaque jour, demeure des plus normales ici. À part un congé du nouvel an lunaire prolongé de deux semaines au pic de crise, tout est normal et le calendrier annuel est respecté.

 

-       Bref, un plan de match assez simple. Et les masques sont fournis par l'État ? Réutilisables ou à usage unique ?

 

-     Très bonne question qui me rappelle un épisode du début de la pandémie, c’est-à-dire au moment où Wuhan était durement touchée et Taïwan subissait une invasion de cas importés du nord (ainsi qu'en Corée du Sud et au Japon). Tout ça pendant que l'Occident dormait toujours en pensant que ce n'était qu'un problème asiatique.

Les mesures de quarantaine étaient déjà en place et la réaction spontanée de la population fut de se ruer sur les stocks de masques qui se sont volatilisés en peu de temps.

Résultat : une pénurie de masques.

Les entreprises locales ne suffisant plus à la demande, en moins de deux semaines, le gouvernement central avait investi dans de la machinerie et autres ressources nécessaires et était devenu, du jour au lendemain, producteur de masques (en co-entreprise).

Le tout se déroulait au même moment que le congé du nouvel an lunaire.

Le plus grand stress de la population était directement lié au souci des parents envers leurs enfants devant retourner à l'école après le congé en temps de pénurie de masques.

Le congé fut prolongé de deux semaines.

Durant cette période, le gouvernement a eu le temps de mettre en place ces nouvelles unités de production, établir un système de distribution centralisé avec quota contrôlé par le gouvernement (via l'équivalent des CLSC et par Internet très rapidement après). Bien sûr, le prix était contrôlé par le gouvernement (+/- 0,20 $ par masque).

Bref, aujourd'hui, tout le monde a accès facilement aux masques. Il n'y a pas de pénurie, plutôt un surplus de production que Taïwan utilise pour offrir en cadeau aux pays dans le besoin.

Justin a bénéficié de ces largesses, entre autres.

Ce ne sont pas des masques en tissus réutilisables. Les Taïwanais savent très bien qu'ils sont inefficaces. Il s'agit de masques très proches de la norme N95 qui sont jetables (malheureusement). Je t’invite à lire l’article suivant : lien.

 

-   Donc, les élèves taïwanais fréquentent l’école à temps plein à l’aide de trois mesures accessibles à nos élèves. Et la distanciation physique ?

 

-   Il n’y a aucune distanciation physique durant les classes (lorsque les élèves portent le masque). Par contre, cette mesure est utilisée à l’heure du dîner. Ainsi, les élèves d'une école prennent leur repas en fonction d'un horaire différent, par groupe d'âge, ce qui permet la distanciation physique en ayant un plus petit nombre d'élèves présents dans la salle à manger.

 

-     Merci Philip ! En espérant maintenant que notre année scolaire se fasse en classe à temps plein, comme chez vous…


mardi 26 mai 2020

Pro domo, pour mon école

J’ai fait ma première suppléance à l’aube de mes 20 ans dans les années 1990. J’ai découvert ma profession par l’expérimentation. J’ai vécu la précarité dans six écoles différentes. J’ai enseigné au public et au privé, à des élèves de tout acabit.

J’ai longuement vécu la satisfaction d’être à l’école et d’enseigner. De partager le quotidien de cette belle jeunesse. Ma classe est devenue mon antre du bonheur. J’ai choisi l’enseignement et l’enseignement m’a choisi.

À bien y penser, je crois qu’il y a une part de l’ado en moi qui n’a jamais voulu mourir. Je suis seulement revenu travailler dans un endroit où je me sentais bien.

J’ignore toujours comment un individu peut espérer faire une carrière dans ce domaine sans une véritable passion pour les jeunes. Cette voie ne doit surtout pas être un choix par défaut, car il s’agit d’une profession exigeante sur le plan humain.

Mon but ? Faire « avancer » chacun de mes élèves, peu importe « l’endroit » où il se trouve.

********

Depuis le 13 mars, j’ai mal à mon école.

Il y a, dans cette nouvelle vie improvisée, un non-sens profond pour l’enseignant en moi. Ma profession, infiniment humaine, se transforme en un vide virtuel.

Plus que jamais, tout comme plusieurs de mes élèves, je constate ce besoin d’être à l’école.

Pour l’indispensable lien prof-élève. Celui qui tisse une relation de confiance entre un jeune et un adulte signifiant. Celui qui permet tous les possibles.

Pour les échanges non-verbaux qui en disent souvent bien plus longs que les quelques mots bredouillés entre deux cours.

Pour les discussions spontanées. Les confidences. Les appels à l’aide. Les larmes. Les rires et les délires. Le sentiment d’appartenance. La fierté.

Pour la réussite, peu importe la définition qu’on lui donne.

La signifiance de la tâche est un élément indispensable à la motivation d’un individu. De mon côté, je me sens insignifiant. Derrière ces carrés noirs sur mon écran, je cherche mon but. J’ai l’impression d’être inutile. D’abandonner certains de mes élèves.

En fait, l’école à distance éteint cette part de l’ado en moi. Et si tel est mon lot, je n’ose même pas imaginer le tort qu’elle cause à un grand nombre de jeunes.

********

La semaine dernière, j’ai enfin vu un peu de lumière dans toute cette noirceur : Québec écarte l’école à distance pour les élèves du secondaire cet automne.

Une excellente nouvelle.

Il nous reste maintenant à savoir si ce retour en classe se fera à temps plein ou partiel. Je souhaite un retour à temps plein. Dans le cas contraire, je tiens à dire qu’un modèle hybride identique pour tous les élèves serait une aberration. Je sais, un modèle hybride différencié n'est pas simple à organiser, mais il est certainement plus logique et efficace.

Depuis le début de la pandémie, certains ont avancé un « fait » : nous assistons à une démonstration éloquente de la distance qui sépare l’école privée de l’école publique.

Honnêtement, la situation a surtout démontré une toute autre cruelle vérité : les élèves forts n’ont pas besoin d’être en classe à l’école.

Oui, l’école leur est utile pour voir des amis, tisser des liens, se définir ou encore construire des souvenirs. Mais, d’un point de vue strictement académique, l’école leur est peu utile.

Pour ces élèves ayant de grandes aptitudes et une bonne attitude, il nous suffit de « passer » de la matière, de fournir quelques liens web, des exercices et un corrigé. Il suffit d’être disponible sporadiquement en ligne. Ils sont autonomes dans leurs apprentissages.

Pour preuve, j’ai quelques élèves qui ont déjà terminé leur année scolaire. J’ai d’autres « crinqués » qui font actuellement leur document de révision pour un examen de juin qui n’aura pas lieu.

Voilà surtout ce que la pandémie aura mis en relief.

Certains élèves doivent être à 100 % à l’école et d’autres non.

Voilà, certes, une piste de réflexion pour notre système d’éducation.

 

 

 


vendredi 8 mai 2020

Nous ne sommes pas solidaires : réponse à Martine Bouliane


J’ai lu la lettre de Martine Bouliane, enseignante à la CSDM, intitulée Nous ne sommes pas solidaires. Un mot résume le sentiment qui m’habite : dommage.

Qu’est-ce que la solidarité ?

Se résume-t-elle à se rendre au travail afin de démontrer son engagement ? Son dévouement ? Sa bravoure ? 

Est-ce s’occuper de sa famille ou ses amis ? Permettre à notre ado de travailler dans un supermarché ou encore de garder la petite voisine ? Faire du bénévolat dans un organisme ? Donner aux banques alimentaires ? Acheter des produits québécois ?

Malheureusement, ce texte tirait dans toutes les directions. Un argumentaire au JE qui utilise le NOUS reflète le besoin d’une culpabilisée à trouver un bouc émissaire afin de soulager sa douleur. Un réflexe normal dans les circonstances.

Dommage.

Car cette lettre contient certains éléments, fort pertinents, qui méritent d’être discutés, mais quelques affirmations sont si grossières qu'elles nous font oublier l’essence même des débats possibles.

Est-ce que le syndicat nous fait mal paraître ? Oui. Est-ce qu’il doit prendre l’entière responsabilité de l’état actuel de notre système d’éducation ? Non.

En 2015dans La Presse, j’écrivais : « L’école publique est en déroute et aucun changement significatif ne sera apporté au système. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il faut un projet qui ne soit ni politique, ni patronal, ni syndical, seulement original, intelligent et plein de gros bon sens… Ce que personne ne semble capable de faire dans ces trois milieux, intérêts obligent. Ce qu’il faut autour de la table, ce sont des gens de jugement et non d’allégeance. Des protagonistes qui veulent le meilleur système d’éducation pour nos enfants. »

Notre voix

Mme Bouliane, j’aurais aimé vous entendre élaborer sur la notion d’autonomie professionnelle. Qu’il ne s’agit pas d’un droit, mais d’un privilège. Celui de pouvoir choisir les meilleures approches de l’enseignement parmi celles qui existent. Celui de choisir ses méthodes de gestion de classe parmi celles qui fonctionnent le mieux.

En passant, je félicite et je remercie tous les enseignants qui n’ont pas attendu les directives d’un bord ou de l’autre. Ceux et celles qui ont utilisé leur autonomie professionnelle à bon escient. Qui ont pris grand soin de notre belle jeunesse.

J’aurais aimé lire votre explication sur le fait suivant : une CS (Beauce-Etchemin) et au moins deux autres organismes étaient prêt à partager leur expertise de cours en ligne depuis fort longtemps. La réponse du MEES ? Long moment de silence. Pourquoi ?

Je vous cite : « Au fil des ans, j’en suis même venue à me dire que les syndicats en éducation sont responsables de plusieurs problèmes d’apprentissage et du décrochage des élèves. »

Si la formation continue était obligatoire, j’imagine que je n’aurais pas eu à lire une telle énormité. La majorité des causes des problèmes d’apprentissages et du décrochage sont connues. Il existe une multitude de variables dans ce dossier complexe.

La plupart des solutions sont aussi connues. Mais il faut une volonté syndicale, patronale et politique afin de les mettre en œuvre.

Pour tout vous dire, je suis las de plusieurs choses en éducation. Votre lettre touche des incontournables pour le bien de notre profession et, en conséquence, pour celui des jeunes.

À vous qui payez près de 1000 $ par année à votre syndicat, je sympathise à votre cri de désespoir. Je paye des impôts depuis 25 ans et je n’entends JAMAIS le gouvernement prendre une position qui me rejoigne en éducation. (merci au collègue Papineau pour celle-là)

Et alors ?

Ce que la situation actuelle a démontré, c’est que les enseignants ont besoin d’une seconde voix. Une voix qui aura un rôle complémentaire à celle du syndicat.

À ce propos, je vous invite à lire la lettre Quelle voix de Stéphane Allaire de l'UQAC : « Doit-on en conclure que les enseignants sont condamnés à laisser les autres acteurs sociaux prendre la place qui devrait légitimement leur revenir ? Le contexte actuel n’indique-t-il pas qu’ils auraient intérêt à se regrouper pour se reconnaître d’abord, et s’assurer ensuite qu’on les considère à leur pleine valeur ? »

Bonnes questions !

À nous de prendre notre profession en main.