mardi 26 mai 2020

Pro domo, pour mon école

J’ai fait ma première suppléance à l’aube de mes 20 ans dans les années 1990. J’ai découvert ma profession par l’expérimentation. J’ai vécu la précarité dans six écoles différentes. J’ai enseigné au public et au privé, à des élèves de tout acabit.

J’ai longuement vécu la satisfaction d’être à l’école et d’enseigner. De partager le quotidien de cette belle jeunesse. Ma classe est devenue mon antre du bonheur. J’ai choisi l’enseignement et l’enseignement m’a choisi.

À bien y penser, je crois qu’il y a une part de l’ado en moi qui n’a jamais voulu mourir. Je suis seulement revenu travailler dans un endroit où je me sentais bien.

J’ignore toujours comment un individu peut espérer faire une carrière dans ce domaine sans une véritable passion pour les jeunes. Cette voie ne doit surtout pas être un choix par défaut, car il s’agit d’une profession exigeante sur le plan humain.

Mon but ? Faire « avancer » chacun de mes élèves, peu importe « l’endroit » où il se trouve.

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Depuis le 13 mars, j’ai mal à mon école.

Il y a, dans cette nouvelle vie improvisée, un non-sens profond pour l’enseignant en moi. Ma profession, infiniment humaine, se transforme en un vide virtuel.

Plus que jamais, tout comme plusieurs de mes élèves, je constate ce besoin d’être à l’école.

Pour l’indispensable lien prof-élève. Celui qui tisse une relation de confiance entre un jeune et un adulte signifiant. Celui qui permet tous les possibles.

Pour les échanges non-verbaux qui en disent souvent bien plus longs que les quelques mots bredouillés entre deux cours.

Pour les discussions spontanées. Les confidences. Les appels à l’aide. Les larmes. Les rires et les délires. Le sentiment d’appartenance. La fierté.

Pour la réussite, peu importe la définition qu’on lui donne.

La signifiance de la tâche est un élément indispensable à la motivation d’un individu. De mon côté, je me sens insignifiant. Derrière ces carrés noirs sur mon écran, je cherche mon but. J’ai l’impression d’être inutile. D’abandonner certains de mes élèves.

En fait, l’école à distance éteint cette part de l’ado en moi. Et si tel est mon lot, je n’ose même pas imaginer le tort qu’elle cause à un grand nombre de jeunes.

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La semaine dernière, j’ai enfin vu un peu de lumière dans toute cette noirceur : Québec écarte l’école à distance pour les élèves du secondaire cet automne.

Une excellente nouvelle.

Il nous reste maintenant à savoir si ce retour en classe se fera à temps plein ou partiel. Je souhaite un retour à temps plein. Dans le cas contraire, je tiens à dire qu’un modèle hybride identique pour tous les élèves serait une aberration. Je sais, un modèle hybride différencié n'est pas simple à organiser, mais il est certainement plus logique et efficace.

Depuis le début de la pandémie, certains ont avancé un « fait » : nous assistons à une démonstration éloquente de la distance qui sépare l’école privée de l’école publique.

Honnêtement, la situation a surtout démontré une toute autre cruelle vérité : les élèves forts n’ont pas besoin d’être en classe à l’école.

Oui, l’école leur est utile pour voir des amis, tisser des liens, se définir ou encore construire des souvenirs. Mais, d’un point de vue strictement académique, l’école leur est peu utile.

Pour ces élèves ayant de grandes aptitudes et une bonne attitude, il nous suffit de « passer » de la matière, de fournir quelques liens web, des exercices et un corrigé. Il suffit d’être disponible sporadiquement en ligne. Ils sont autonomes dans leurs apprentissages.

Pour preuve, j’ai quelques élèves qui ont déjà terminé leur année scolaire. J’ai d’autres « crinqués » qui font actuellement leur document de révision pour un examen de juin qui n’aura pas lieu.

Voilà surtout ce que la pandémie aura mis en relief.

Certains élèves doivent être à 100 % à l’école et d’autres non.

Voilà, certes, une piste de réflexion pour notre système d’éducation.

 

 

 


6 commentaires:

  1. Je suis 100% en accord avec ce que je viens de lire.

    Note: Ça me fait sourire quand tu commences ton texte en parlant de tes débuts puisque j'en ai fait partie au MSS... comme élève.

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  2. Merci Nic ! Et je m'en rappelle très bien :) Une belle gang en bio de 3.

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  3. J'enseigne en classe communication et je dois dire que l'enseignement à distance pour ces enfants n'est pas du tout bénéfique. Il faut clairement privilégier un retour en classe pour ces élèves au mois de septembre.

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    1. Quand vous dites classe "communication", il s'agit d'élèves TSA ?

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  4. J'enseigne au préscolaire et ma mission première est la socialisation alors l'enseignement à distance (ou même à l'école avec 2m entre les élèves) ce n'est pas compatible. Tous les efforts que nous pouvons déployer en ligne ne sont que de piètres substituts.

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