Est-ce que mon nom vous
rappelle quelque chose ? Je suis le «con» de Pierre Brochant. Celui qu’il voulait
inviter à son fameux dîner. À la suite de ses excuses, Pierre et moi sommes
devenus des bons copains. À titre d’exemple, lorsque j’ai perdu mon emploi au
ministère des Finances, c’est lui qui m’a suggéré de déménager au Québec. Il
m’a affirmé que le système d’éducation constituerait une formidable famille
d’accueil. Qu’il me voyait très bien y enseigner. Que les enseignants n’étaient
pas considérés comme des abrutis là-bas. Et il avait raison.
D’abord, soulignons que le
Premier ministre est un véritable père spirituel. À preuve, son message aux enseignants dans le
cadre de la campagne de valorisation Prof,
ma fierté ! de 2014 était phénoménal. Quand il déclare que « le
grand projet du Québec, c’est bien plus que des routes et du béton… Le grand
projet du Québec, c’est l’éducation », j’ai la chair de poule. C’est bien
simple, je ne regarde plus les matchs de foot. J’écoute plutôt cette capsule de motivation en boucle. Je
me suis même surpris à chanter Aaallez l’PM, Aaallez l’PM !
Ensuite, les gens du ministère de
l’Éducation sont extra. Ils ont de l’imagination et une approche rigoureusement
scientifique. C’est probablement pourquoi les ministres se succèdent à un
rythme effarant. Ce n’est jamais très intéressant de s’occuper à regarder les
autres travailler efficacement.
De plus, ils subventionnent les
écoles privées afin de créer une saine concurrence. Plusieurs chroniqueurs, des
sommités en matière d’éducation, écrivent d’excellents articles à ce sujet. Grâce
à cette vision, c’est toute la
marchandisation de l’école qui s’est fortement implantée. Il y a même un
palmarès des écoles afin d’entretenir ce dogme. Je
constate que ça fonctionne très bien. Les élèves les plus forts réussissent
mieux et les plus faibles moins bien. Les Ontariens, les Belges du coin, ne
financent pas leurs écoles privées. C’est vous dire comme on est plus brillant
ici.
Également,
inutile de vous rappeler que je suis syndiqué. Mon syndicat, c’est un peu comme
Pierre, un vrai grand frère. Il prend soin de moi. Il s’assure que je ne change
pas trop. Cet automne, il m’a convaincu de faire la grève pour le bien de mon
école. Quatre jours de plaisir. On révolutionne le système quoi !
Enfin, il y a
« Sasseur » à mon syndicat : ma commission scolaire. Pour elle
aussi, l’élève
est au centre des priorités. Tellement qu’elle n’a même pas défendu ses budgets
lorsque la vague d’austérité est passée. Une grande sœur peu courageuse, me
direz-vous, mais très perspicace. À ce propos, elle
m’a annoncé que j’allais reprendre trois jours d’école perdus. Je vous cite un
noble extrait du communiqué : « Nous souhaitons ainsi assurer le
maximum de temps d’apprentissage de qualité pour l’ensemble de nos élèves,
particulièrement ceux à risque et en difficulté d’apprentissage.» Ce n’est pas
beau ça ?
C’est
probablement pour cette raison que je jouis d’une grande autonomie. Ainsi,
personne ne m’oblige à me former. Je peux également utiliser les approches de
l’enseignement qui font mon affaire. Sciences, pseudosciences ou légendes
pédagogiques… Qui s’en soucie ? De toute façon, avec l’extraordinaire formation
que j’ai reçue à l’université, je suis compétent pour les 35 prochaines années.
Un
collègue me faisait remarquer que j’avais le bonheur facile. Il m’a dit: « François,
j’ai percé ton mystère. Pour être heureux
dans la vie, l’important, c’est de se croire. » Ce qu’il peut être con celui-là
! Comment être malheureux lorsque votre famille a une vision aussi « Juste » du bien commun ?
En terminant, je vous dirais
que je ne suis tout de même pas naïf. Depuis ma mésaventure avec Pierre, j’ai
changé. Si mes amis du système m’invitent un jour à dîner afin de discuter
d’éducation, je serai un tantinet méfiant. J’apporterai avec moi un élève d’une
classe régulière de l’école publique.
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