Simon Landry (Enseignant de la région métropolitaine)Sylvain Dancause (Enseignant de la région de Québec)
“Selon certaines études, le financement public des écoles privées encourage une éducation à deux vitesses. La concurrence engendrée par l’existence des deux réseaux scolaires fait en sorte que les écoles publiques se retrouvent avec des élèves dont les besoins sont toujours plus grands. Conjugué avec la diminution du financement causée par la perte d’élèves au profit du secteur privé, cela affaiblit le secteur public. Aussi, toujours selon ces études, abolir les subventions au secteur privé mettrait fin à l’exode des élèves vers celui-ci. L’intégration de ces derniers au secteur public profiterait aux élèves qui ont plus de difficultés et permettrait à l’État une économie annuelle de plusieurs millions de dollars.
Selon d’autres, le maintien d’un système privé accessible est nécessaire à la concurrence. Celle-ci est bénéfique pour le réseau public et améliore la qualité générale de l’éducation. L’abolition, complète ou même partielle, des subventions versées aux écoles privées entraînerait la fermeture de plusieurs d’entre elles. Loin de permettre à l’État de faire des économies, cela représenterait une perte financière importante.” *
Notre système scolaire crée de l’échec
Selon Marc St-Pierre, “la concurrence en éducation est utile et donne de bons résultats, car elle pousse l'école publique à innover et à s'améliorer, en plus d'élargir les choix offerts aux parents, nous rappellent certains chroniqueurs. Mais pourquoi alors le Québec, champion canadien de l'école privée, n'affiche-t-il pas les meilleurs taux de diplomation au Canada? Pourquoi les écoles publiques de l'île de Montréal ne sont-elles pas les plus performantes au Québec puisqu'elles bénéficient d'une saine émulation avec l'école privée?
Peut-être parce que la concurrence en éducation n'est pas une bonne idée. Peut-être parce que l'émergence d'un marché de l'éducation créé plus de problèmes qu'il n'apporte de solutions; qu'il a des effets délétères sur la réussite au Québec parce qu'il creuse les écarts entre les élèves en fonction du lieu où ils vivent et des revenus de leurs parents.
Le déficit éducatif au Québec n'est pas conjoncturel, mais structurel. La concurrence entre les établissements et l'école privée rendue abordable grâce à un généreux financement ont favorisé le développement d'un réseau parallèle d'éducation et l'émergence au public de projets particuliers souvent sélectifs, parfois même à leur propre insu. Pour preuve, les élèves en difficulté ou issus de milieux défavorisés y sont généralement sous-représentés. Tout cela tire vers le bas les résultats scolaires et hypothèque l'avenir de ceux qui comptent parmi les plus vulnérables de notre société.” (lien)
Les dérives d’un système à plusieurs vitesses
Depuis une vingtaine d’années, c’est toute la marchandisation de l’école qui s’est fortement implantée. Et dans l'espoir de freiner l'exode de sa "clientèle", l’école publique a fait le choix de multiplier les projets pédagogiques particuliers (PPP).
Cette course à la multiplication des projets particuliers dans nos écoles est, à l’origine, une idée fort intéressante. On veut motiver les jeunes et les garder à l’école. Qui peut être contre la vertu?
En contrepartie, cette façon de concevoir l’école comporte un effet pervers. Actuellement, le message est le suivant: «l'école c'est plate, apprendre c'est plate, mais tu pourras au moins faire quelque chose d'autre que des cours plates.Tu pourras avoir une vraie raison d'aller à l'école. Même s'il y a des matières qu'on t'oblige à apprendre, ton «choix» t'aidera à supporter cette torture.»
De plus, ces programmes entraînent souvent la réduction du nombre de périodes consacrées à l’enseignement de certaines matières. On pourrait bien sûr affirmer que les élèves sont sélectionnés, mais comment croire qu’on puisse enseigner des contenus de cours en 50% moins de temps que ce qui est prescrit? Des enseignants ont même eu recours aux tribunaux pour condamner cette situation. Cette dérive est rendue si importante que même des élèves du secteur ordinaire et non sélectionnés voient maintenant le temps de certaines matières comme le français amputé de 25% pour instaurer des projets de motivation scolaire dont on ne mesure même pas l’efficacité.
Cette vision de l’éducation nous éloigne du plaisir d’apprendre. À quand une valorisation de l’apprentissage dans toutes les matières au programme? Le revers de la médaille des PPP, c'est que ça relègue l'importance d’une culture générale au 2e rang.
À propos de la multiplication des PPP, le Conseil supérieur de l’éducation publiait un avis au printemps 2007. À cette époque, il mettait en garde le ministre de l’Éducation contre les risques de dérive du choix de la diversification de l’offre scolaire. Voici quatre extraits de cet avis prophétique :
L’exclusion de certains jeunes : la sélection et l’étiquetage des élèves se font de plus en plus tôt dans le cursus scolaire, soit dès le primaire, et les exigences sont de plus en plus élevées. La sélection des élèves se fait sur la base des résultats scolaires ou en fonction des revenus des parents.
L’écrémage de la classe ordinaire : en retirant les élèves plus performants des classes ordinaires, on prive les autres élèves d’un effectif souvent mieux adapté à l’école. Les résultats des recherches sur les modes de regroupement des élèves convergent sur ce point : les regroupements hétérogènes d’élèves n’affectent pas la progression des élèves plus performants sur le plan scolaire, mais ils exercent une influence positive sur les élèves plus faibles.
La répartition inégale du poids de l’intégration des élèves handicapés ou des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage : en raison de l’absence des élèves « performants sur le plan scolaire », le poids de l’intégration des élèves handicapés ou des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage repose entièrement sur les élèves de la classe ordinaire (ce qu’on appelle aujourd’hui la 3e vitesse).
L’iniquité dans la tâche d’enseignement : le personnel enseignant des classes ordinaires voit sa tâche s’alourdir et il se crée une discrimination au sein même du personnel enseignant. Certains enseignent à des élèves performants et motivés, alors que d’autres se retrouvent avec plus d’élèves en difficulté ou à risque et des ressources insuffisantes pour répondre à leurs besoins.
Aujourd’hui, il est facile d’affirmer que ces risques de dérive sont chose faite.
Quelle devrait être la mission de l’école?
Cette concurrence a poussé plusieurs acteurs de notre système d’éducation à mettre plus d’efforts dans le marketing que dans la réussite réelle des élèves.
“L’école à trois vitesses n’est pas seulement inégalitaire, elle contribue aussi au décrochage scolaire. C’est du moins ce qu’affirme Mélanie Marsolais, directrice du Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage.”
Selon le rapport Ménard la conséquence économique du décrochage se chiffre à 1 900 000 000 $ / année. Selon la FEEP, l’existence de son réseau permet aux contribuables d’économiser plus de 500 000 000 $ / année.
Et si nous avions un réseau commun? Est-ce que cela réduirait le décrochage? En plus des avantages sociaux, il y aurait fort probablement des avantages économiques à la création d’un seul réseau.
Selon le rapport d’un comité d’experts, le financement des écoles privées au Québec représente en réalité près de 75 % des coûts. L’école privée appartient donc en grande majorité au peuple québécois.
Attaquer l’école privée n’est pas l’enjeu de ce débat. La question fondamentale demeure la suivante : comment permettre la mission collective de notre système d’éducation?
Ce qu’il faut c’est le désir commun de construire le meilleur système d’éducation non pas pour le bien de son enfant, mais pour celui de tous les enfants.
Autres textes en lien avec le sujet :
*The Impact of Charter School Competition on Student Achievement of Traditional Public Schools after 25 Years: Evidence from National District-level Panel Data
Remettre le cap sur l’équité (rapport CSE)
La patate chaude du financement des écoles privées
La dérive tranquille de la classe ordinaire
Une école à 3 vitesses
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Thème 3 : Une autre voix pour les enseignant.e.s
Luc Papineau (enseignant de la région de Lanaudière)
Simon Landry (Enseignant de la région métropolitaine)
Sylvain Dancause (Enseignant de la région de Québec)
Dans un texte publié au printemps 2020, Stéphane Allaire posait cette question pertinente: Quelle voix pour les enseignants?
“Depuis plusieurs semaines maintenant, nombre d’acteurs de la société civile se prononcent sur les enjeux éducatifs de la situation de pandémie. Doit-il y avoir continuité pédagogique? Quelle forme peut-elle prendre? Des types d’élèves doivent-ils être mis en priorité? La ronde d’avis reprend de plus bel maintenant qu’on envisage la réouverture des écoles. Cela se comprend. Tout le monde est concerné de près ou de loin par l’éducation. L’Association des pédiatres a récemment pris position. Des ordres ou d’autres regroupements de cette nature le feront vraisemblablement aussi. Cette situation offre une occasion pertinente pour réfléchir à la voix réelle dont disposent les enseignants, principaux professionnels en première ligne du retour à l’école, pour se faire entendre.”
En effet, ce printemps 2020 a permis à divers intervenants de prendre la parole sur la place publique. À maintes reprises, certains «experts» de l’école s’exprimaient comme s’ils étaient des enseignant.e.s.
En fait, à bien y penser, une vaste majorité de nos «porte-paroles» ne se retrouvaient pas dans une classe en compagnie des élèves: parents, pédiatres, psychologues, psychoéducateurs, orthophonistes, conseillers d’orientation, directeurs, professeurs-chercheurs, etc.
En juillet de la même année, le ministre de l’Éducation a même convié plusieurs experts à une première rencontre de travail sous la thématique «soutenir nos élèves vulnérables durant la prochaine année scolaire» et, pour comble d’insulte, aucun représentant de notre profession ne se trouvait autour de la table.
Le problème? Nous sommes les seuls professionnels en éducation à n’être représentés que par un syndicat.
Ces situations auront démontré, à notre avis, l’extrême nécessité d’une voix supplémentaire pour les enseignant.e.s.
L’ordre professionnel
Certes, il y a la formation que l’on peut questionner. Est-que la création d’un ordre professionnel ne viendrait pas encadrer légalement cette formation? Est-ce qu’il serait souhaitable de créer des titres professionnels réservés à l’exercice de la profession? (p.ex. candidat à la profession, agrégé, titulaire, etc.). Actuellement, il est impossible pour un parent de connaître la qualification professionnelle de l’enseignant de son enfant.
Est-ce que nous pourrions envisager un modèle d'ordre, comme en Ontario, où c'est le collège des enseignants qui organise et distribue la formation continue? Ce qui est certain, c'est que la formation continue ne devrait pas être dans les mains des CSS ou du Ministère.
À propos de l’ordre, un mémoire du CRIFPE à lire : https://depot.erudit.org/id/003378dd
L’association professionnelle
À propos de la création d’une association professionnelle :
Des enseignants veulent créer une association professionnelle
Travaillons ensemble pour valoriser notre profession
Une voix commune prometteuse en éducation
D’autres questions à débattre
Doit-on aller de l’avant avec l’idée de la création d’un Institut d’excellence en éducation (INÉE)?
Peut-on questionner la pertinence et/ou la pérennité du CSE? Même s'il fait généralement un excellent travail, ses avis sont constamment ignorés par le gouvernement. Peut-être faudrait-il privilégier une nouvelle structure avec plus de mordant?
Enfin, il serait peut-être temps d’assister à la transformation du ministère de l’Éducation. L’organisme créé en 1964, dans la foulée du rapport Parent, a plutôt mal vieilli et ne possède pas, selon des experts, une politique de gestion efficace.
Peu importe la ou les voies à privilégier, il nous semble indispensable de dépolitiser l’éducation. Il s’agit d’une condition essentielle dans le but de développer une vision cohérente du système d'éducation au Québec. Le système d’éducation pourra enfin profiter d’une vision à long terme, l’objectif étant de nous éloigner des lignes de partis et des promesses inefficaces.
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Thème 4 : Les rôles et les pouvoirs des parents
Simon Landry (Enseignant de la région métropolitaine)
Sylvain Dancause (Enseignant de la région de Québec)
L’apport des parents à la réussite éducative des jeunes n’est plus à démontrer. Les parents exercent une grande influence dans le parcours scolaire de leurs enfants et leur implication dans le réseau scolaire est primordiale.
Il faut par contre distinguer les notions d’implication et de pouvoir décisionnel. Présentement, dans le réseau scolaire québécois, les parents ont plus de pouvoirs quant aux décisions de nature pédagogique qui se prennent dans les écoles que le personnel scolaire. Les parents, via le conseil d’établissement, ont le même nombre de représentants que le personnel scolaire. Le vote prépondérant, en cas d’égalité, va au président du conseil d’établissement, qui est de facto un parent. Il serait temps de remettre en question cette répartition des pouvoirs. Comment peut-on expliquer que la direction d’école n’ait pas le droit de vote au conseil d’établissement? L’idée n’est pas de retirer en tant que tel des pouvoirs aux parents, mais plutôt de s’assurer que les décisions qui sont prises dans les écoles et qui affectent le cheminement scolaire des enfants soient prises en mettant davantage l’accent sur l’expertise des pédagogues qui devront les mettre en application.
Une première avenue possible serait de revoir la composition des conseils d’établissement. En augmentant le nombre de représentants du personnel scolaire, notamment des enseignants, pour s’assurer qu’ils ont toujours une représentation majoritaire, on assurerait que les décisions sont prises dans l’intérêt pédagogique des élèves et applicables en classe. Puisqu’il revient aux enseignants de mettre en application ces décisions, il semble tout à fait normal que ces derniers aient le plus grand poids décisionnel dans ces instances. On peut ici faire un parallèle avec nos hôpitaux. Nos centres hospitaliers ont tous un comité d’usagers et des représentants de patients, mais le pouvoir décisionnel revient majoritairement aux professionnels qui y œuvrent et qui devront appliquer les décisions prises. Tout comme le personnel de la santé a toujours le bien-être des patients à coeur, le personnel scolaire et les enseignants ont toujours la réussite des élèves à coeur, même si parfois cela peut aller à l’encontre des intérêts des parents.
Si la composition des conseils d’établissement n’est pas revue, il faudra alors instaurer un mécanisme afin de protéger l’autonomie professionnelle des enseignants. Ce mécanisme viendrait s’assurer que les décisions de nature pédagogique ne sont jamais prises à l’encontre de l’expertise des enseignants. Un exemple concret est celui de la mise en place de projets particuliers. Dans certains projets, l’école retire des périodes d’enseignement d’une matière afin d’en allouer plus à une autre. Quoi que cela puisse sembler anodin pour certains, dans la vue d’ensemble du développement holistique de l’enfant, il demeure important que toutes les matières fassent partie de son cheminement scolaire car elles contribuent au développement global de l’enfant. En ce sens, les enseignants devraient être les seuls à pouvoir modifier le nombre d’heures allouées à une matière, selon les besoins académiques des élèves. Pour ce faire, il faudra mettre un place un rempart contre l’ingérence pédagogique. La mise en place d’un ordre professionnel serait l’avenue la plus simple mais cette idée rencontre une très forte résistance de la part du personnel enseignant, notamment du mouvement syndical. Autrement, il faudrait revoir les modalités de la Loi sur l’Instruction Publique (LIP) pour retirer toutes les décisions de nature pédagogique (choix du matériel didactique, répartition des heures de cours, etc.) qui sont actuellement la prérogative du conseil d’établissement et les transférer vers un autre organisme ou comité, comme par exemple le comité de participation enseignante (CPE) où siègent des enseignants et la direction d’école. Il faudrait par contre à ce moment revoir le mandat de ce dernier (CPE) puisqu’il n’est que consultatif et que les enseignants n’y ont pas de réel pouvoir décisionnel.
En résumé, il faudra revoir la répartition des pouvoirs dans les écoles. Les parents ont certes un rôle primordial à jouer dans la vie scolaire et nul ne remet en question leur apport, mais il faudra par contre se questionner à savoir qui devrait avoir le dernier mot.
En s’assurant que les décisions de nature pédagogique sont prises par les experts en pédagogie, nous pourrions ainsi limiter les dérives du système, comme lorsqu’on demande aux enseignants du primaire de superviser le brossage de dents des enfants.
Les parents sont les meilleurs alliés des enseignants dans la réussite de leurs enfants. Il faut travailler de concert, chacun misant sur sa propre expertise et complémentant l’autre, dans leurs rôles qui leurs sont propres, afin d’accompagner les jeunes vers la réussite.